• Entretien en juillet 2009 avec Wolfe Lowenthal, auteur de "Un grand Maître du Tai Chi vous parle"

    Un des premiers élèves de Me Cheng Man Ching            

     

    Entretien avec Wolfe Lowenthal - Elève de me Cheng Man Ching

    Wolfe Lowenthal

     

    1. Vous avez commencé votre stage estival en Ecosse en rappelant que Chen Man Ching avait baptisé la seconde salle dans laquelle il a enseigné à New York  la « Salle de la Joie ». En quoi cela vous inspire-t-il aujourd’hui ?

     

    Ce poème de dédicace, « La Salle de la Joie », m’a inspiré et éclairé plusieurs années durant. Récemment, alors que j’attendais avec enthousiasme le stage en Ecosse, j’ai eu le sentiment de compléter un cercle qui avait commencé l’été précédant à Salamanque ; là, la générosité de cœur qu’exprimaient entre eux les étudiants m’avait suggéré de faire face aux déséquilibres qui empêchaient que certaines personnes de notre groupe aux U.S.A. puissent vivre avec l’esprit de la Salle de la Joie : « Que la véritable affection et le rassemblement joyeux habitent cette salle. »

    J’ai pensé boucler la boucle dans la façon dont, au cours de l’année, le changement de l’énergie des cours à Amherst m’avait donné l’espace pour approfondir ma compréhension de l’escrime. Retrouver mes camarades d’étude en Europe avec cette nouvelle compréhension serait le cadeau qui me permettrait d’exprimer ma gratitude pour la leçon spirituelle de Salamanque.

    Juste avant le début du stage, j’ai eu droit à une grosse surprise. Margaret est venue passer un peu de temps chez nous et je lui ai proposé de faire un peu d’escrime. Je pensais la bouleverser avec ma nouvelle découverte ; je fus étonné : apparemment elle l’avait déjà comprise ! J’étais peut-être un soupçon plus sensible qu’elle, mais quant à la grande « nouvelle idée » que je ramenais avec moi, elle l’avait déjà acquise…

    Pratiquer l’escrime avec Gordon quelque temps plus tard me le confirma une nouvelle fois. Ils avaient même commencé à en partager les fondamentaux avec leurs élèves.

    A l’occasion, j’ai posé la question à Margaret et Gordon : comment en étaient-ils venus à cette découverte ?

    « Tu nous en a parlé, il y a plus d’un an, sur une aire d’autoroute en allant à  l’aéroport après notre visite à Amherst en automne. »

    Je le leur avais effectivement dit. Ou plutôt j’avais parlé à partir d’une idée encore abstraite, et eux l’avaient rendu tangible avant moi. Ils m’ont dit qu’ils avaient passé beaucoup de temps à travailler ensemble, et qu’avec une bonne entente et une confiance réciproque, ils avaient pu étudier « le vortex du Tao ».

    C’était bien plusieurs mois plus tard que moi j’avais pu faire ce bond et avoir cette foi, une fois que je m’étais senti assez en sécurité pour explorer ce qui semblait être à  première vue une idée assez effrayante. Il n’y a aucun hasard : grâce au changement d’énergie dans mon groupe –  devenu une véritable « Salle de la Joie » -- j’ai pu développer une compréhension plus profonde.

    Et puis, ce dernier stage m’a conduit vers ce qui, me semble-t-il, va devenir une longue méditation sur un autre thème du poème de la « Salle de la Joie »  « … Et abandonnions le souci de nous-mêmes ».

    En observant mes camarades d’étude au stage de Stirling - beaucoup d’entre eux sont d’excellents professeurs - j’ai été frappé par leur générosité et l’absence d’esprit de compétition. Leur esprit était engagé dans l’apprentissage, avec la conscience qu’une certaine énergie est  souhaitable voir nécessaire pour cela.

    Ce maillage gracieux entre élèves contrastait totalement avec l’esprit de clique et de clan qui peut limiter le potentiel d’un étudiant au sein d’une école.

    Je me suis longtemps efforcé de trouver les mots pour répondre à cet esprit de clan, mais une fois encore, il me semble que le Professeur m’a montré le chemin. Peut-être songeait-il à l’avenir de sa propre école et à la façon dont les guerres de clans la détruiraient après sa mort.

    Bien sûr, « l’abandon du souci de nous-mêmes » ne concerne pas uniquement les guerres de clans.

    « Si votre idée est d’obtenir la victoire ou bien d’éviter la défaite, ce n’est pas du Tai Chi Chuan, » disait Cheng Man-ching. Les questions de victoire et de défaite ainsi que les tracas qui les accompagnent, tout comme les préoccupations de place dans une hiérarchie, nous rendent durs et tendus, et deviennent de ce fait des barrières empêchant la compréhension de la grandeur du chi. Ce qui est vrai de bien d’autres thèmes du poème de « la Salle de la Joie » l’est de « perdre le souci de soi » : c’est beaucoup plus qu’un souhait ; c’est une instruction.

    En parlant de Cheng Man-ching, l’une des fonctions d’une lignée est de fournir un refuge, un espace dans lequel relâcher le souci de soi.

     

     

    2.    Une des choses auxquelles vous semblez le plus attaché est la croyance dans les principes du Tai Chi Chuan. Pouvez-vous parler de votre rapport personnel à cette foi pour aider les pratiquants que nous sommes à comprendre à quel point cette question est importante.

     

    Le Tai Chi Chuan n’est rien sans principes. En fait, même dans la représentation visuelle du Tai Chi, celle des « deux poisons », le principe est la ligne séparant – créant – le yin et le yang.

    Par exemple, à un niveau fonctionnel, le vide et le plein qui sont au cœur de l’application du Tai Chi sont inefficaces sans cette « ligne ». L’alignement entre le sommet de la tête (les cieux) et le milieu du pied ( la terre), cet alignement – ce principe – rend possible l’application. Sans ce principe, nous perdons la faculté de neutraliser, d’utiliser yin et yang.

     

     

    3.    Dans Comme une longue rivière, vous insistez sur l’injonction de Maître Cheng d’ « investir dans la perte ». Vous avez aussi parlé dans votre stage de « spend time in principles » (passer du temps en compagnie des principes… ? ). Est-ce la même idée ?

     

    Au fil des années, j’ai entendu une multitude d’explications et de définitions du « Gung Fu » : discipline, niveau de réussite dans ce que tu fais, voire même habileté, sont quelques exemples qui me viennent à l’esprit. Or récemment j’ai entendu la version de Liu Hsi-heng de ce qu’était le Gung Fu: « le temps consacré au principe, qui mène à l’éveil ». C’est devenu ma définition favorite.

    Investir dans la perte est un concept capital dans notre pratique, un aspect du principe auquel nous consacrons du temps. Cela veut dire en gros d’abandonner la résistance et la force dure, et d’être prêt à en accepter les conséquences probables – la défaite – jusqu'à ce que nous ayons suffisamment appris la douceur et la non-résistance.

     

     

    4.    En lisant vos livres, on comprend que pour vous, la Poussée des Mains est avant tout un espace d’étude du Chi. Etait-ce clair dès le début de votre pratique ou avez-vous dû abandonner l’idée que la Poussée des Mains est un combat ? Comment et grâce à quoi votre perception du sens de la Poussée des Mains s’est-elle modifiée ? Dans le stage que vous avez animé cet été en Ecosse, vous avez exposé l’idée que la forme devient martiale à partir du moment où l’on commence à sentir l’air comme de l’eau. Cela signifie-t-il que nous nous battons contre l’univers entier? Pouvez-vous préciser votre compréhension de ce qu’est la martialité ?

     

    Laissez-moi clarifier quelques points. Premièrement je n’ai jamais pensé la Poussée des Mains comme une forme de combat. Le professeur Cheng était très clair sur le fait que la Poussée des Mains est une étude de l’interrelation de l’énergie. Cette étude a de merveilleuses applications une fois comprises et pourrait être la seule chose requise dans beaucoup de situations de self-défense. Mais dans un cas désespéré qui demanderait une réponse martiale féroce (ce que le Professeur appelait « devenir méchant ») il s’agit bien d’une mise en œuvre de l’art martial dans son ensemble. Pas uniquement de la Poussée des Mains, et peut-être que c’est alors la forme qui prendrait le plus d’importance parmi tous les aspects de notre Gung Fu.

    Vous déformez également mon propos quand vous dites que « la forme devient martiale lorsque l’on commence à sentir l’air comme de l’eau ». Je n’ai pas dit que la forme devenait martiale une fois qu’on acquiert ce niveau de compréhension. Cependant, pendant des années, je me suis trompé de façon comparable, en oubliant un point critique.

    La petite histoire : au bout d’une vingtaine d’années, j’avais atteint un assez bon niveau dans la Poussée des Mains et une certaine habileté dans la pratique de l’escrime. Mais je n’avais pas la sensation d’être un vrai boxeur de Tai Chi parce que j’avais le sentiment que – aux vues de toutes mes connaissances et de mon expérience – dans une situation martiale, je serais retombé dans la dureté.

    Par la suite, pourtant, je suis devenu éveillé, au moins au point de rentrer dans l’enclos du Tai Chi Chuan. C’était le résultat d’une plus grande compréhension du Chi. En particulier j’arrivais à percevoir l’air comme étant beaucoup plus substantiel que l’eau. Comme quelque chose de fixe, comme de l’acier ou du fer. Et c’est cet éveil qui a tout fait basculer ; en ouvrant la porte, cela m’a fait devenir un boxeur de Tai chi.

    Je pensais que ma découverte était unique avant de tomber, quelque temps plus tard, sur une citation assez obscure de Cheng Man-ching que je connaissais déjà, et qui disait : « Traitez l’air comme s’il avait la substance et le poids de l’eau, jusqu’au point qu’il devienne bien plus, comme du fer ! » La citation a toujours été là pour moi, mais c’était si bizarre que je n'en avais jamais tenu compte. C’était un secret, là, sous mes yeux.

    « Le Gung Fu c’est le temps passé dans les principes », disait Liu Hsi-heng, « qui mène en fin de compte à l’éveil ».

     

    5.    Dans le chapitre de Comme une longue rivière intitulé « La peur et la relaxation », vous parlez de la réception de vos deux premiers livres, Un grand maître de Tai Chi parle et Le Tao du Professeur Cheng. La porte du miracle. Certains de vos lecteurs  vous ont interpellé sur l’idée selon laquelle toutes les tensions qui nous empêchent de suivre le flot du Chi, dans notre pratique du Tai Chi comme dans la Vie, reposent sur la peur. Pourquoi l’idée si simple que tout ce que nous avons à affronter ne sont que les différentes formes prises par un seul et même principe est-elle si difficile à accepter ?

    Peut-être parce que c’est si difficile de relâcher la peur. Certains aspects de la peur paraissent si impressionnants extérieurement qu’il est contraire à toute logique que nous ayons la capacité de dissoudre cela de l’intérieur. J’ai été immergé dans cet aspect de la pratique pendant plus de 20 ans, et assez souvent, dans l’instant présent, j’ai du mal à y croire.

     

    6.    Vous avez la générosité de partager énormément votre expérience et votre compréhension du Tai Chi en écrivant des livres et en répondant aux questions qui vous sont posées par des pratiquants de tout niveau dans Tai Chi Thoughts (Pensées Tai Chi), le journal internet de votre école, Long River. Pourquoi consacrez-vous tant de temps à cela ? Cela fait-il aujourd’hui d’une certaine façon partie de votre pratique du Tai Chi ?

    J’adore écrire. Une des multiples bénédictions de ma pratique du Tai Chi, c’est la manière dont il m’a permis d’associer deux grand amours, l’écriture et les arts martiaux. Je pense que le Tai Chi recèle ce genre de choses pour tout pratiquant. Plus qu’un art martial, le Tai Chi est une discipline spirituelle, un tao, un chemin spirituel. Pour citer un autre passage du poème de la Salle de la Joie, ce chemin mène « vers la joie de croître continuellement, d’aider au développement en nous et en autrui des talents et des dons, cadeaux des cieux avec lesquels nous sommes nés… »

    Le Tai Chi m’a également aidé à apprendre une leçon de grande valeur, que beaucoup d’écrivains et d’artistes n’apprennent jamais : le but de la vie n’est pas de développer son art ; le but de l’art, c’est de développer sa vie.

    A la fin du stage, Manolo m’a fait un grand honneur. Il m’a rappelé un passage de mon premier livre : « vous m’avez aidé à trouver la meilleure part de moi-même ». Etudié de façon correcte, c’est ce que fera le Tai Chi.

     


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  • INTERVIEW DE CHEN SHI JONG  - Professeur de Taïji Quan à Taïwan puis à Berlin 

     2ème génération dans la lignée du Maître Cheng Man Ching 

    (Par Hérald Loygue et Marc Mazalairas) 

    Publié le 27/07/2011 par Ecole Lishan dans Taïchi Chuan

      

    Interview du Maître Chen Shi Jong, 2ème génération dans la lignée du Maître Cheng Man Ching

    Me CHEN SHI JONG


    Quel est l’essence du Taï chi chuan ? Qu’est-ce que l’essence ? Comment définir le Taï chi chuan  ? 

    Me CHEN SHI JONG: Très difficile à répondre … Si j’avais à répondre, un constant changement !


    Que pensez-vous des différents styles de Taï chi chuan  ? 

     Me CHEN SHI JONG: Dans la plupart des styles, la plupart des gens sont trop attachés à la forme extérieure.

     

     Qu’ est-ce que vous entendez par forme extérieure ? 

    Me CHEN SHI JONG: Pas dans la forme, mais dans l’expression de la forme, plus dans une forme morte, vide. Dans le sens où c’est trop défini : le style Yang fait le Tai chi chuan yang, le style Chen fait le Chen TCC,… Penser en style c’est faire mourir le Tai Chi Chuan! Les gens s’axent, s’orientent plus par rapport à la forme, au style que par rapport à l’enseignement. Théoriquement, l’orientation devrait être dirigée plus sur l’enseignement que sur le style, la forme extérieure.

     

    Y-a -t-il un TCC santé et un autre martial ? 

    Me CHEN SHI JONG: Pas de différence ! Les gens doivent se battre eux-même pour leur propre santé… (rires)

     

    Quels sont les connections entre la forme et les Tui Shou ? 

    Me CHEN SHI JONG:Dans le TCC, forme et Tui Shou sont la même chose … Que tu fasses la forme ou les Tui Shou, aucune différence dans l’état d’esprit, dans ce sens là c’est la même chose. Si quelqu’un essaie de te pousser ou pas c’est la même chose !

     

     Si vous aviez à remplacer le TCC par un autre un nom ? 

    Me CHEN SHI JONG: Un constant changement, la transformation.

     

    Quelle est la place des armes dans le Tai Chi Chuan ? 

     Me CHEN SHI JONG: Des armes ? Quelles armes ! Quand les personnes voient la pratique des épées, sabres,…  Quand les principes sont compris, tu peux utiliser toutes les armes, tout devient une arme ! Bien sûr il y a le sabre, l’épée, le bâton, … mais on peut tout utiliser. Ces choses-là, c’est quand tu veux gagner de l’argent ! (Rires) Celui qui veut gagner de l’argent, il fait toutes les formes …


    Que pensez-vous des compétitions ? 

      Me CHEN SHI JONG: Aucun sens. A Taiwan, il y a des gens qui arrivent premiers après seulement deux ou trois années de pratique. Ce qui veut dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans ces compétitions. (Rires) Une anecdote à ce sujet : "Mon professeur, Me Ke Chi Hua (disciple de Cheng Man Ching) était jury à une de ces compétitions à Taiwan. Il y avait un homme dans la catégorie des 70/80 qui ne voulait pas rester dans cette catégorie de poids. Il a été faire le jogging pour transpirer et perdre du poids pour descendre de catégorie ainsi il arrivait au plus haut de la catégorie inférieure, moins de 70 kg. Et il est arrivé premier. Ensuite, comme il savait que mon professeur était très bon, il demande à essayer avec lui… Mon professeur, très maigre, et qui était encore en costume de ville, l’a envoyé voler tout de suite ! C’est pour cela que cela n’a aucun sens. Les gens de ces compétitions réagissent bien, bonne réaction mais cela n’a rien à voir avec la qualité du TCC.

     

    Si vous aviez des conseils à donner aux pratiquants français, à ceux qui veulent faire du Taï chi chuan  en France ? 

    Me CHEN SHI JONG: Les points principaux c’est : Chercher un bon professeur et l’autre, le travail personnel. La transmission orale est très importante, montrer à travers le corps ne suffit pas. Beaucoup de gens ne trouvent pas les deux. A Taiwan, c’est la même chose, il y a des gens qui s’entraînent depuis des années mais pas avec un bon professeur, aussi il n’y a pas de résultat ! Si tu cherches, tu finis par trouver. Quelquefois cela demande du temps et pas mal de détour, il faut rester ouvert! Parfois également les gens sont bloqués par leur professeur, parce que leur professeur est bloqué dans certaines directions. Cela ferme la voie. J’ai déjà rencontré des gens comme cela. Parfois des résultats qu’on devrait obtenir en 5/6 ans n’arrivent alors qu’après une vingtaine d’années ! C’est ennuyeux, on perd du temps. Le point principal c’est d’avoir confiance, de croire, si tu n’y croies pas, aucune chance. Beaucoup de gens n’ont pas confiance !


    Est-ce que le Taï chi chuan  a un goût ? 


    Me CHEN SHI JONG: Un goût ?

    Pour les débutants c’est peut-être comme le  » Bitter Lemon « … Au début apprendre la forme, c’est amer, puis quand on a mal aux jambes, cela devient acide et enfin quand on y arrive, aaah ! C’est sucré ….(rires) Si ce processus se passe, c’est à peu près juste, mais si on commence et que c’est très confortable, y’a quelque chose qui ne va pas … Aussi quand tu cherches un professeur, il faut chercher dans ce sens-là. Au début, ce doit être amer. Si ce n’est pas amer c’est que c’est déjà mélangé … A cause de la pédagogie, le désir d’attirer des élèves,…

    Me CHEN SHI JONG: Y’a beaucoup de débutants qui viennent pour le côté confortable ! Le problème est que si tu donnes de l’amer au début, les élèves ne restent pas ! (Rires)


     Merci Chen Shi-Jong ! 


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